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Le Compagnon du Tour de France – Analyse

George Sand, passionnée par la question sociale, nous plonge dans l’univers du compagnonnage. Elle évoque la question des classes de la société de l’époque, des injustices. Outre la dimension sociale et engagée du roman, nous en suivons les intrigues amoureuses et les nombreux rebondissements.

Table des matières

Contexte

Le Compagnon du Tour de France, de George Sand, a été édité en 1840. Période du règne de Louis-Philippe, qui se terminera en 1848 sur les barricades …

Le roman se déroule en 1823, pendant la seconde partie de la Restauration, après les Cent-Jours. C’est alors Louis XVIII qui est roi.

Présentation du roman

Le Comte de Villepreux engage des menuisiers afin de restaurer les boiseries de la chapelle de son château. C’est le père Huguenin qui est engagé, avec son équipe.

De retour de son Tour de France, Pierre Huguenin va aider son père. Pierre en profite pour passer ses moments de liberté dans la tourelle de la chapelle. Là, il peut lire tous les ouvrages présents dans la bibliothèque :

« … il se décida à ouvrir un livre… Ce livre fut l’Émile de Jean-Jacques Rousseau. Pierre le savait par cœur ; il se l’était procuré à Lyon, et il l’avait lu à la veillée avec plusieurs Compagnons de ses amis durant son Tour de France. Sur le même rayon, Pierre trouva Les Martyrs de Chateaubriand, les tragédies de Racine, La Vie des Saints, et les Lettres de Sévigné, Le Contrat Social, La République de Platon, l’Encyclopédie, divers ouvrages historiques, et beaucoup d’autres assez étonnées de se trouver ensemble. Il dévora dans l’espace de trois mois, …. non la lettre, mais la substance de la plupart de ces ouvrages ; et il a dit souvent depuis que ces heures avaient été les plus belles de sa vie. »

Devant l’importance des travaux à accomplir, Pierre doit partir, afin de trouver d’autres ouvriers.
Durant se voyage, il rencontre Achille Lefort et le Berrichon dit La Clé-des-Cœurs. Il retrouve La Saviniene dite «La Mère», son ami le plus cher, Amaury, dit Nantais-le-Corinthien.
Enfin, obligé par son devoir, de participer à un concours entre sa Société, les Gavots et celle des Dévorants, il rentre chez son père, après Amaury et le Berrichon qui l’ont précédé.

Le travail pouvait continuer dans la chapelle du château du Comte de Villepreux. Ce dur labeur dont le bruit est couvert par les chants des compagnons.

A partir de là, vont se croiser des amours tumultueux et d’autres, empreints de retenue, de vénération et de sagesse. C’est aussi une histoire d’amitié et de solidarité. Mais aussi des difficultés des ouvriers face à la noblesse et à la bourgeoisie.

Le Compagnonnage

Les ouvriers se regroupaient autour d’un même métier.

Grâce à ces compagnonnages, ils bénéficiaient d’une formation poussée, de grande qualité, de soutien financier au besoin.
Ils avaient leurs jargons, leurs symboles, leurs noms spécifiques. Les ouvriers étaient rebaptisés. Les règles devaient être respectées, le Conseil des Anciens y veillait.

Le Tour de France durait de deux à sept années. A chaque étape, le compagnon était hébergé dans une auberge tenue par une «Mère».
Il était soumis à des épreuves, dont celle du «Chef-d’Œuvre». Au terme du Tour de France, le compagnon pouvait s’installer à son compte.

Les Personnages

Pierre Huguenin, dit L’Ami-du-Trait

Ce jeune homme est un compagnon menuisier. Rentré de son Tour de France, il va aider son père à restaurer la chapelle du château du comte de Villepreux.

Ses pérégrinations l’ont conduit à la contemplation, à la réflexion, grâce à sont intelligence et sa sensibilité. De plus, sa quête de la connaissance lui permet d’acquérir la sagesse. Ses lectures des philosophes, des romans l’amènent à remettre en question les normes établies. Derrière sa façade paisible, Pierre est aussi capable de passions.
Il a des idéaux de justice et de liberté, d’une humanité plus juste et fraternelle. Il est en introspection et en quête «de soi».

Ce personnage représente le courage, le peuple. Ce peuple qui s’instruit et médite sur sa place dans la société.

Réflexion de Pierre sur la société :
«… Et, comme la barbarie est le résultat inévitable du partage et de l’individualisme absolu, l’avenir de l’humanité repose sur la peste, la guerre, les cataclysmes, tous les fléaux qui tendront à ramener l’enfance du monde, la rareté de l’espèce humaine, l’empire farouche de la nature, la dissémination et l’abrutissement de la vie sauvage. Plus d’un cerveau du XIXe siècle, non réputé féroce ou aliéné, est arrivé à cette conclusion absurde et anti-humaine, faute d’en trouver une meilleure, soit en partant du point de vue socialiste, soit en partant du point de vue individualiste.»

Pierre parle à Amaury :
«… C’est une guerre effroyable que cette rivalité des intelligences; l’un ne peut parvenir qu’à condition d’écraser l’autre. La société est comme un régiment où le lieutenant, un jour de bataille, se réjouit de voir tomber le capitaine qu’il va remplacer. Eh bien ! puisque le monde est arrangé ainsi, puisque les esprits les plus libéraux et les plus avancés n’ont encore trouvé que cette maxime : «Détruisez-vous les uns les autres pour vous faire place», moi, je ne veux détruire personne. Nos ambitions personnelles sanctionnent trop souvent ce principe abominable qu’ils appellent la concurrence, l’émulation, et que j’appelle, moi, le vol et le meurtre.»

Réflexion de Pierre sur l’intervention de l’humain dans la Nature :
«Partout la terre, livrée à l’ignorance et à la cupidité, s’épuisant sans donner l’abondance, ou bien abandonnée à l’impuissance du pauvre, se flétrissant dans une aridité séculaire. Et pour le voyageur, pas un sentier qu’il ne fallût chercher et conquérir en quelque sorte par la mémoire ou par l’agilité du corps; car tout est clos, tout est défendu, tout se hérisse d’épines et s’entoure de fossés et de palissades. Le moindre coin de terre est une forteresse, et la loi constitue un délit à chaque pas hasardé par un homme sur la propriété jalouse et farouche d’un autre homme. Voilà donc la nature, comme nous l’avons faite, pensait Pierre Huguenin lorsqu’il parcourait ces déserts créés par l’humanité. »

« … D’où vient donc, se disait-il, que la main de l’homme est maudite, et que, là seulement où elle ne règne pas, la terre retrouve son luxe et revêt sa grandeur ?».

Le Père Huguenin

Menuisier, père de Pierre. Les changements ne lui conviennent pas. Mais il sait admettre que les nouvelles connaissances acquises par son fils Pierre ont quelque chose «de bon».

«… il craignait de trouver son fils plus savant que lui. D’abord il s’était attendu à le voir étaler sa science, trancher du maître avec ses élèves, bouleverser son atelier et l’engager d’un ton doctoral à troquer tous ses antiques et fidèles outils contre des outils de fabrique nouvelle et d’un usage inconnu à ses vieilles mains. Mais les choses se passèrent tout autrement : Pierre ne dit pas un mot relatif à ses études, et lorsque son père fit mine de l’interroger, il éluda toute question en disant qu’il avait fait de son mieux pour apprendre, et qu’il ferait de son mieux pour pratiquer; puis il se mit à la besogne le jour même de son arrivée et prit les ordres de son père comme un simple compagnon.»

Amaury, dit Nantais-le-Corinthien

Compagnon menuisier, l’ami de Pierre Huguenin. Ce personnage est impétueux, influençable. Il va se révéler au cours du roman ambitieux. Très doué pour la sculpture, il est encensé par le comte de Villepreux. Ses capacités peuvent lui permettre de devenir artiste.

Il s’éprend de la belle Joséphine, la cousine d’Yseult. Une jeune femme superficielle, mais qui l’aime en retour. Amaury aurait-il oublié la belle et sage Savinienne ?

Le comte de Villepreux

Ce personnage a traversé les crises en se conformant aux idées du moment. Son père était impliqué au complot de Philippe-Egalité (Louis Joseph, duc d’Orléans) et a été guillotiné. Le jeune comte s’était caché afin d’y échapper. Puis il s’est arrangé avec l’Empire. Doué pour la spéculation, habile pour les complots, il s’était enrichi. Il devient libéral avec le retour des Bourbons et est nommé député.

Dans une description du comte, George Sand écrit :
«Les nobles de sa famille et de son voisinage l’accusaient de petitesse d’esprit, de perfidie et d’ambition, tandis que les libéraux lui attribuaient une grande force d’âme, une énergie toute républicaine, et des vues profondes en politique. Il faut bien vite dire que le bon vieux seigneur, homme d’esprit et charmant orateur de salon ne méritait «Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité». Il faisait une opposition de bon goût et sans éclat. Il avait tant de sel et d’enjouement, que c’était plaisir de l’entendre se moquer du pouvoir, de la famille royale, des favorites ou des prélats en faveur. Quand il se lançait ainsi dans le satire, Voltaire tout entier ressuscitait dans ses traits et dans sa personne, et il n’était pas un électeur libéral qui n’eût pu refuser son vote à un candidat qui l’avait fait si bien dîner et rire.»

Cet esprit fin et perspicace sait tirer son épingle du jeu.
«Il lisait dans les hommes et dans les choses de son temps comme dans des livres d’agréments; et quand sa curiosité était rassasiée, il s’endormait en souriant sur la dernière page, consentant à ce que chacun eût sa façon de penser, pourvu que l’ordre social n’en fût pas trop ébranlé et que les théories n’eussent pas la prétention de passer à la pratique.»

Yseult de Villepreux

Petite fille du Comte. Elle a été élevée par son grand-père, très librement. Elle a lu les philosophes, et remet en question, à l’instar de Pierre Huguenin, l’organisation de la société.

L’histoire d’amour qui naît entre Yseult et Pierre est pure et profonde. Leurs espérances sont les mêmes. Elle se met à la porté des villageois, sans affectation, s’habille sobrement. Elle pense aussi que le peuple a le droit d’être instruit.

Elle éprouve une grande tendresse pour son grand-père le comte. Et le croit profondément libéral, sans soupçonner sa frivolité.

Yseult est aux antipodes de sa cousine Joséphine.

La Savinienne

Veuve du Savinien depuis peu, elle a deux enfants et tient l’auberge où elle accueille les Compagnons de la société des Gavots. Amaury et la Savinienne sont épris l’un de l’autre, sans jamais l’avoir exprimé, par respect pour le Savinien et les autres compagnons.

Cette jeune femme est courageuse, pleine de sagesse. Elle représente la plèbe.

Sa rencontre avec Yseult vers la fin du roman est très belle. Ces deux femmes, bien qu’issues de milieux différents, sont proches et touchantes.

Joséphine, Marquise des Frenays

Cousine d’Yseult. Née Clicot et fille d’un gros fabricant de draps de province, Joséphine est mariée au neveu du Comte de Villepreux. Son mari est âgé et très malade.

Cette jeune femme lit des romans, est rêveuse. Elle trouve d’ailleurs qu’Yseult est «une compagne un peu trop sérieuse». Joséphine se soucie plus de ses toilettes et de ses succès que de la condition humaine.

Achille Lefort

Achille Lefort appartient à une société secrète : La Charbonnerie. Il circule dans toute la France, en se faisant passer pour un négociant en vins, afin de recruter pour sa «Vente» de nouveaux membres.
La Charbonnerie est une organisation qui complote afin de renverser la Restauration. Chaque membre doit apporter son écot afin que la société secrète puisse acheter des armes et des munitions. 
Les Ventes sont dirigées par la Haute-Vente à laquelle La Fayette appartient.

Achille Lefort a dans l’optique de recruter Pierre Huguenin. Ils se retrouvent au château de Villepreux. car le comte appartient aussi à l’organisation, ce qui est pour lui un divertissement. Mais Achille, lui, prend son rôle très au sérieux.

Pourquoi lire Le Compagnon du Tour de France ?

Ah oui ! Pourquoi !

Ce roman peut contenter beaucoup de personnes. Il parle de l’histoire, mais aussi du compagnonnage. Il aborde les problèmes de la société, avec ses castes, ses croyances, ses injustices.

C’est aussi un roman d’amours : entre Pierre et Yseult, entre Amaury et Joséphine. Mais aussi l’amour du métier, du travail bien fait, de la beauté, de l’art, sans oublier la Nature.

Enfin, il résonne encore dans notre actualité du XXIe siècle.

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