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Mauprat – Analyse

Après son aventure vénitienne en 1834, Nohant, où George Sand retourne, est un havre de paix. C’est l’endroit idéal pour écrire. Elle commence l’écriture d’une nouvelle en 1835, intitulée Mauprat.
Elle nous offre dans cette nouvelle, qui deviendra un roman, une plongée dans le XVIIIème siècle d’avant la Révolution de 1789.
Mauprat est publié une première fois dans la Revue des deux Mondes entre le 1er avril et le 1er juin 1837 en quatre parties. Puis en deux volumes la même année. En 1852, aux éditions Jules Hetzel, dans un volume illustré.

Contexte

C’est un roman mouvant, tout en rythme et en rebondissements. Il nous plonge dans une atmosphère inspirée par les romans du genre gothique, que George Sand a lu.

Une atmosphère gothique

Dans Histoire de ma vie, elle évoque, lors de la visite des caves du couvent des dames Augustines anglaises, sa lecture d’Ann Radcliffe :
« J’avais lu avec délices, avec terreur, Le château des Pyrénées de madame Radcliffe »,

Dans le roman Mauprat la présence latente du mal nécessite une vigilance de tous les instants.

Le genre gothique est né au XVIIIème siècle en Angleterre. Même s’il n’a plus cours à partir de 1820, beaucoup d’auteurs s’en sont inspirés, comme Jules Verne (Le Château des Carpathes), Charles Dickens (Les Papiers posthumes du Pickwick club ou Les contes de Noël).
Le site même de la Roche Mauprat paraît menaçant. A l’instar des romans gothiques, le décor est sombres avec les ruines du manoir, les cachots, la forêt, la magie (Le sorcier de la tour Gazeau), l’onirisme de certaines scènes. … dans une nature omniprésente.
« J’avoue que moi-même je n’ai jamais côtoyé ce ravin, la nuit, sans éprouver un certain malaise. »

« Presque tous ces monuments dont nous déplorons la ruine sont des cachots où a langui durant des siècles, soir l’âme, soit le corps de l’humanité. »

Un idéal d’égalité entre les hommes

Ce roman prône les vertus de l’instruction. Patience et Marcasse croient que l’avenir promet des jours meilleurs pour les hommes. Ils pressentent les grands bouleversements à venir. Ils prophétisent l’ordre nouveau qui sera mis en place.
Mais cet avenir rêvé n’a pas tenu ses promesses. A la Révolution de Juillet 1830 ont succédé l’Empire et la Restauration.

Une société dans laquelle la femme est toujours traitée en mineure. Ne serait-ce qu’avec le Code Napoléon :
« Les personnes privées de droits juridiques sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux. »

« Le devoir conjugal est une obligation (il n’existe pas de viol entre époux). »

Les femmes ont interdiction d’accéder aux lycées et aux universités. Elles sont toujours soumises à une autorité quelconque : le père ou le mari. Le mariage garantissant le bon fonctionnement de la famille patriarcale.

Soit un monde où les inégalités sont toujours criantes malgré les révolutions.

Présentation du roman

Nous sommes au XIXème siècle. Deux jeunes gens se rendent à la Roche-Mauprat, afin de rencontrer l’actuel propriétaire, qui n’est autre que Bernard Mauprat, âgé de plus de quatre vingt ans.

Après le dîner, Bernard Mauprat entreprend de raconter son histoire.

Mauprat est le nom d’une famille du Berry scindée en deux clans.
D’un côté, le clan des hors la loi, les Mauprat de La Roche-Mauprat, gouvernés par Tristan de Mauprat. Ils sont comparés à des « coupe-jarret ».
De l’autre, le frère de Tristan, le chevalier Hubert de Mauprat de Sainte-Sévère est homme respecté et sage.

Tristan de Mauprat a un petit fils, Bernard. Après la mort de son père, Bernard, encore enfant, est enlevé et emmené à La Roche-Mauprat. Il y est éduqué par ses oncles. Mais cette éducation se borne à des pratiques cruelles et son grand-père, nostalgique de la féodalité, lui en inculque les valeurs.

« … de sorte que, tandis qu’à une faible distance de ce pays, la France marchait à grands pas vers l’affranchissement des classes pauvres, la Varenne suivait une marche rétrograde, et retournait à plein collier vers l’ancienne tyrannie des hobereaux. »

Après la mort de Tristan, « l’espèce de gloire » acquise par ce grand-père cruel, disparaît. Les enfants deviennent des ivrognes et des débauchés.
Un jour, Edmée, la fille du chevalier Hubert de Mauprat, s’est égarée dans la forêt. C’est là qu’elle rencontre Laurent, un des fils de Tristan. Il emmène la jeune fille à La Roche-Mauprat, où elle est faite prisonnière. Bernard, alors jeune homme, rencontre sa tante pour la première fois. Il en tombe amoureux.

Les personnages

« Allons voir Patience, il nous dira quelque sentence qui nous rassurera; il est le vieux oracle qui résout toutes choses sans en savoir aucune. »

D’abord, je choisis de vous présenter Patience, un personnage que j’ai particulièrement aimé. Bernard Mauprat en fait cette description au début de l’ouvrage :
« C’était une nature éminemment contemplative, douce et indolente, mais fière, et poussant jusqu’à la sauvagerie l’amour de l’indépendance ; religieuse, mais ennemie de toute règle ; un peu ergoteuse, très méfiante, implacable aux hypocrites. »

Le jeune Patience, après les tentatives des moines de Carmes de l’éduquer, est instruit par le curé de Briantes. Mais apprendre à cette esprit rebelle à lire est impossible. En revanche, Patience se passionne pour les lectures que lui fait le curé. Lectures qui sont suivies de longues discussions.
Mais l’église ne voit pas cela d’un bon œil, car elle a le dessein de maintenir le peuple dans l’ignorance. Les moines persécutent le curé, accusé de jansénisme. Alors, Patience préfère s’éloigner et vivre seul, en anachorète.
C’est ainsi, qu’il s’installe dans la tour Gazeau.

Grâce à ses conversations avec l’abbé Aubert et son ami Marcasse, il s’instruit des idées des philosophes des lumières. Son amour de la nature, du peuple et les entretiens avec l’abbé l’amènent à des réflexions profondes. Il observe un régime végétal afin de ne pas donner la mort aux animaux.

Philosophe rustique, il apprend à rêver, il médite, c’est une nature poétique. Cette âme droite va vers la lumière, grâce à la vérité.
Son nom lui est donné, car il s’exclame souvent :
«Patience ! Patience ! » Le temps arrive où … « les manants ne couperont aux nobles ni les jarrets, ni les oreilles, mais la tête et la bourse… »

« Le sorcier de la tour Gazeau » n’attend rien pour lui, mais il a confiance, car l’avenir promet plus d’égalité entre les hommes. Patience et Marcasse pensent que le temps viendra où les hommes établiront un ordre pacifique et vivront dans la même harmonie que les étoiles.
« Mais le plus souvent ses regards se perdaient vers le ciel, et il interrompait sa conversation pour dire en montrant la voûte étoilée : « Voyez cela, voyez comme c’est beau ! » »

Bernard Mauprat

C’est à la tour Gazeau que Bernard rencontre pour la première fois Patience. La violence et l’arrogance de Bernard ne donnent pas à Patience une bonne opinion de ce jeune homme.
Il faut dire que son éducation a fait de lui une personne rude. Mais, et cela Patience s’en apercevra, son âme est généreuse. Elle lui permet de résister à la perversité de ses oncles.
D’ailleurs, c’est grâce à la duperie de l’un de ses oncles, que Bernard rencontre pour la première fois Edmée. Ses oncles lui « donne » avec l’autorisation de la violer.

Edmée Mauprat

Cette jeune fille, d’apparence fragile, mais d’une volonté de fer, connaît bien Patience. Elle est férue de philosophie et ses préférences vont vers Jean-Jacques Rousseau. Mais alors qu’elle est captive à la Roche Mauprat, elle découvre la barbarie dont certains hommes sont capables.

Une fois libérée et de retour à Sainte-Sévère, elle s’évertue à répandre dans l’esprit de Bernard la philosophie des lumières. Elle est aidée en cela par l’abbé Aubert.
«Par la raison que je suis une Mauprat et que j’ai un inflexible orgueil, je ne souffrirai jamais la tyrannie de l’homme, pas plus la violence d’un amant que le soufflet d’un mari ; il n’appartient qu’à une âme vassale et à un lâche caractère de céder à la force ce qu’elle refuse à la prière.»

Un autre personnage souhaite aussi que Bernard acquière une éducation, c’est son oncle, Hubert de Mauprat.

Hubert Mauprat

Il n’a pas de fils et trouve dans Bernard un héritier. Il voit donc en lui, un frère pour Edmée. Cet homme est bon et cultivé. Mais il reste attaché à son statut de châtelain, dans la conscience des devoirs de sa caste.
Les nobles ont des prétentions philosophiques, mais ne veulent pas perdre leurs privilèges.
« Le fait est que le chevalier était imbu de beaucoup de préjugés. Il avait reçu une très bonne éducation pour son temps et pour un noble campagnard ; mais le siècle avait marché plus vite que lui. »

Pourquoi lire Mauprat ?

Et bien, si vous aimez le romanesque, vous pouvez lire Mauprat !
Mais outre le romantisme, c’est une histoire de combats : celui des classes populaires et celui de la femme, qui espèrent en un avenir où régneront l’équité et la liberté.
L’atmosphère de roman gothique et les rebondissements en rendent la lecture captivante.
Au travers du portrait d’Edmée, ce roman marque dans l’œuvre de George Sand un tournant féministe.

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